Les Années Palace
À partir de la fin des années 1960, Paris voit émerger des lieux de fête qui révolutionnent le monde de la nuit.
Le Palace ouvre ses portes le 1er mars 1978.
Célèbre club parisien, il est le théâtre des soirées les plus mémorables de la décennie. Parmi les noctambules habitués des lieux, Yves Saint Laurent et sa bande se mêlent régulièrement aux festivités.
Chapitre 1
Yves Saint Laurent, le sens de la fête
Yves Mathieu-Saint-Laurent nait et grandit à Oran, en Algérie. Les sorties mondaines de ses parents rythment la vie de la famille. Ces évènements sont l’occasion pour sa mère, Lucienne Andrée Mathieu-Saint-Laurent (1914-2010), de s’apprêter. Elle « passait presque tout son temps à s’habiller ». Encore enfant, il développe une passion pour les robes de cette dernière, source d’inspiration pour la création de ses premiers travaux.
Très tôt, le jeune homme organise ses propres fêtes. L’été 1951, son père lui prête son garage pour qu’il puisse y recevoir ses amis. Yves Mathieu-Saint-Laurent se fait une joie d’égayer le lieu en recouvrant les murs de dessins représentant des danseurs de be-bop.
Il se prend aussi de passion pour le théâtre, un milieu qui stimule sa créativité. En ce début des années 1950, il s’imagine habiller les acteurs de pièces célèbres comme Sodome et Gomorrhe de Jean Giraudoux (1882-1944) en 1943 ou La Reine Margot d’Alexandre Dumas (1802-1870) en 1845, en créant leurs costumes.
Dès son arrivée à Paris, Yves Mathieu-Saint-Laurent s’imprègne du milieu festif et participe à des bals, notamment celui du « Bal des têtes » du Baron Alexis de Redé (1922-2004) en 1956. Le jeune couturier est invité à créer des costumes et un décor. Lors de cet événement, il fait la rencontre de la danseuse Zizi Jeanmaire (1924-2020) qui devient une grande amie. Il collabore avec elle à de nombreuses reprises. En 1971, il dessine des costumes d’inspiration Belle Époque pour le « Bal Proust » donné par la baronne Marie-Hélène de Rothschild (1927-1996) dans son château de Ferrières à l’occasion du centenaire de l’écrivain Marcel Proust (1871-1922).
Chapitre 2
Habiller la fête
La culture du night clubbing émerge et le « clubwear » se développe aussi vite que les boîtes de nuit s’ouvrent. De Kenzo Takada (1939-2020) à Karl Lagerfeld (1933-2019) en passant par Jean-Paul Gaultier (né en 1952), Jean-Paul Goude (né en 1938), Thierry Mugler (1945-2022) ou encore Jean-Charles de Castelbajac (né en 1949), les soirées parisiennes deviennent un laboratoire de recherches et d’inspirations pour les « jeunes créateurs ».
La mode doit être la fête.Yves Saint Laurent
Yves Saint Laurent participe à cet élan en proposant une garde-robe pour le soir, qui, souvent inspirée du vestiaire masculin, participe à l’émancipation des femmes et fait irradier leur beauté.
Pièce maîtresse, le smoking féminin fait son apparition lors de la collection haute couture automne-hiver 1966 d’Yves Saint Laurent et devient une de ses créations iconiques qu’il décline dans nombre de ses défilés. Le couturier cherche farouchement à habiller ses contemporaines de vêtements souples et glamour.
Chapitre 3
Les nuits parisiennes
Dès les années 1960, Yves Saint Laurent devient un des protagonistes majeurs des nuits parisiennes. Lors de ces soirées, le couturier s’entoure de Pierre Bergé (1930-2017), Loulou de La Falaise (1947-2011) et son mari Thadée Klossowski (né en 1944), mais aussi de sa mère Lucienne Mathieu-Saint-Laurent (1914-2010). La bande d’amis écume les clubs et c’est au New Jimmy’s qu’Yves Saint Laurent rencontre Betty Catroux (né en 1945), qu’il décrit par la suite comme « son double ».
La fête fait partie de la vie de la maison de couture. Après les défilés, les mannequins sortent, habillées de tenues Saint Laurent.
Yves Saint Laurent fait de nombreuses apparitions au Sept. Situé rue Saint-Anne, le club dispose d’un restaurant en rez-de-chaussée et d’une petite piste de danse en sous-sol, très chic. C’est un des premiers lieux homosexuels à la mode.
Fabrice Emear (1935-1983) connait le monde de la nuit comme personne. Propriétaire du Sept et du Pimm’s, il accueille chaque soir des centaines de personnes dans ses clubs. Figure du mouvement homosexuel, il fait de ses boites de nuits des lieux ouverts et avant-gardistes.
Régine (1929-2022), chanteuse et surtout propriétaire de clubs influents tels que Chez Régine et Le New Jimmy’s est une autre figure des nuits parisiennes. Ses clubs deviennent une étape obligée des stars d’Hollywood lors de leur passage dans la capitale française. Elle exporte son concept en ouvrant des clubs à New York, Monte Carlo ou encore Rio de Janeiro.
Chapitre 4
Création d’un lieu mythique
Fin des années 1970, Le Sept ne correspond plus à l’ambition grandissante de Fabrice Emaer. Inspiré par le Studio 54 découvert lors de vacances à New York, il souhaite trouver un lieu plus grand pour son club. Michel Guy (1927-1990), alors Ministre de la Culture, lui fait découvrir une salle qui a servi de salle de music-hall, théâtre d’opérette et cinéma : c’est le futur Palace.
Fabrice Emaer souhaite restaurer le théâtre pour lui redonner son caché d’antan. Il confie la scénographie à l’artiste peintre Gérard Garouste (né en 1946), qui, passionné par le projet se plonge dans de nombreuses recherches autour du rococo et des décors de théâtre italien, historiquement présents dans le lieu. Une partie de l’équipe du Sept suit le nouveau propriétaire du Palace dans la création de ce nouveau haut lieu de la nuit qui compte finalement une centaine d’employés permanents.
Sylvie Grumbach (né en 1947), attachée de presse pour Valentino et Castelbajac, fait la rencontre de Fabrice Emaer au Sept. Son carnet d’adresses permet à la nouvelle attachée de presse du Palace d’avoir un rôle déterminant dans le rayonnement et le succès du club.
Fabrice Emaer veut « démocratiser le chic ». Pour cela il fait appel à des physionomistes qu’il poste aux portes du club. Paquita Paquin (né en 1949), Jenny Bel’Air (né en 1953) et Edwige Belmore (1957-2015) aussi appelée la Reine des punks, contrôlent les looks à l’entrée.
Guy Cuevas (né en 1945) est un des premiers disc-jockeys, il débute au Sept et exporte ses platines au Palace à son ouverture.
Chapitre 5
L’inauguration du Palace
Des milliers d’invitations sont envoyées au tout Paris. Pour le dress code, c’est « smoking, robe longue ou comme il conviendra ».
Le Palace n’est pas encore né qu’il est déjà une légende. Le 1er mars 1978, dès 23h, la foule est amassée devant le bâtiment, les invités sur leur 31 attendent impatiemment d'entrer dans le lieu. 1 300 personnes sont autorisées dans l’enceinte du théâtre mais c’est en réalité 3 000 personnes qui sont accueillies ce soir-là. Yves Saint Laurent est présent accompagné de Loulou de La Falaise.
L’animation de la soirée n’est pas laissée au hasard. Grace Jones (née en 1948), habituée du Sept, monte sur scène pour un show qui deviendra mythique. Un défaut dans son costume de scène fait intervenir le couturier. Depuis les coulisses, il la rhabille d’une cape à franges noires.
Au cours de cette performance, elle chante « La Vie en Rose » qui devient aussitôt l’hymne du club.
Tous les noctambules parisiens sont présents, artistes et créatifs trouvent rapidement leur place dans ce nouveau lieu. Kenzo Takada (1939-2020), Sonia Rykiel (1930-2016), Philippe Krootchey (1954-2004), Maud Molyneux (1948-2008), Line Renaud (née en 1928), Andy Warhol (1928-1987), Paloma Picasso (née en 1949) et bien d’autres deviennent des habitués du Palace.
L’ambiance est très festive. Le personnel du Palace n’a qu’une seule consigne : « Champagnisez-les à mort ! »
Chapitre 6
Les fêtes mythiques du Palace
Plusieurs événements ont contribué au mythe des années Palace. Le 12 avril 1978, Loulou de La Falaise et Thadée Klossowski organisent la soirée « Magic City » et revêtent pour l’occasion des costumes d’ange et de démon. Fabrice Emaer prend l’apparence de Betty Catroux en se coiffant d’une longue perruque blonde.
Karl Lagerfeld organise le 25 octobre 1978 un bal vénitien, « De la cité des doges à la cité des dieux ». Ce bal costumé marque l’histoire des nuits parisiennes. Le Palace accueille quelques milliers de participants, tous accoutrés en costumes du XVIIIe siècle. Jenny Bel’Air la physionomiste arrive sur les lieux en gondole portée par les pompiers de Paris. Une entrée très remarquée d’autant que le trajet fini par une chute.
En 1978, Kenzo Takada organise « Le Bal travesti ». Les hommes sont en femmes et les femmes sont en hommes, parmi les convives le chanteur Mick Jagger (né en 1943) et Jerry Hall (née en 1956).
Pour Fabrice Emaer, la musique et la mode sont les deux phénomènes de l’époque et c’est sur ce schéma qu’il construit Le Sept puis le Palace. Ainsi, il délègue à Sylvie Grumbach l’organisation de ces fêtes dédiées aux personnalités de la mode. Le Palace suit le calendrier des Fashion Weeks parisiennes pour organiser des défilés ou des fêtes privées, réunissant tout l’univers de la mode de l’époque.
Lors de ces soirées, le propriétaire des lieux condamne la porte principale et fait entrer tout le monde par la porte de service qui donne sur la scène. Ainsi le public peut profiter d’un défilé improvisé pour féliciter les créateurs et leurs équipes.
Chapitre 7
Le phénomène Palace
Le Palace devient presque un mouvement à part entière. Il représente le disco, la musique de masse et la danse de foule. La bonne réputation du lieu tient à sa clientèle extrêmement variée : la volonté du propriétaire est de chercher les « lookés », on parle alors de « dictature des physionomistes ». Ainsi, la clientèle du Palace regorge d’inventivité pour se créer des costumes originaux, mais surtout chics et glamours.
Les magazines de mode s’emparent rapidement du sujet en illustrant leurs articles avec les photographies des styles extravagants et audacieux de la clientèle. Mais la mode Palace est aussi soulignée par l’uniforme des employés, dessinés par Thierry Mugler.
En 1980, Fabrice Emaer ouvre le restaurant Le Privilège et fait de la piste de patins du sous-sol un restaurant dans lequel seuls les membres sont autorisés.
[…] c’était faire la fête, toutes les nuits. Ne faire que des choses amusantes. Coquines. Boire. Des excès. Que des choses que les gens ne font plus. Ne vivre que pour s’amuser.Betty Catroux
Chapitre 8
Déclin et renaissance
Fabrice Emaer décède en 1983. Suite à sa disparition, le Palace est fragilisé et peine à se redresser. L’établissement ferme ses portes, emportant avec lui les souvenirs magiques d’une époque révolue.
Racheté en 2006, le Palace a aujourd’hui retrouvé son statut de salle de spectacle et accueille des expositions.